Quelle destinée ! Pourtant ce personnage est très méconnu y compris de bon nombre de Moissagais. Alors que le rôle exercé par ce dernier est tel que même l’un des plus grands historiens de notre époque, Jean Tulard, spécialiste de Napoléon 1er, le cite pas moins de six fois dans son ouvrage intitulé : « Le 18 brumaire, comment terminer une révolution ? » Issu de la petite bourgeoisie, après de solides études de Droit à Toulouse, le destin et la Révolution naissante vont le propulser jusque dans les plus hauts rouages de l’appareil révolutionnaire. Là, il aura l’occasion de côtoyer ou d’affronter certains protagonistes de cette période troublée. La lecture de ses archives personnelles témoignent de ses rencontres soit avec des militaires tels que Bonaparte, Murat, Bessières, Lannes, Jourdan, Pérignon, Dugommier, Houchard et bien d’autres, soit des civils tels que Cambacérès, Siéyès (qu’il ne portait pas dans son coeur), Lucien Bonaparte, Destrem, Grandmaison et beaucoup d’autres. Successivement Engagé volontaire dans le 4e bataillon de la Mozelle (sic) de mars à septembre 1792, député pendant trois ans à la Convention Nationale, Représentant du Peuple durant cette législature, une première fois auprès de l’armée du Nord où il permit avec son collègue Levasseur et le général Jourdan d’arracher la victoire d’Hondschoote et le sauvetage des places fortes de Cambrai et de Bouchain ; tout de suite après il fut envoyé à Montpellier afin de recruter des chevaux pour la cavalerie de l’armée d’Italie ; au mois d’août 1794 le revoilà Représentant en mission auprès de l’armée des Pyrénées Orientales mais, après le décès du général Dugommier, il prend momentanément le commandement de cette armée pour ensuite nommer le général Pérignon qui terminera victorieusement cette campagne. A nouveau élu du peuple au mois d’octobre 1795 au sein du Conseil des Cinq Cents il se distingue surtout comme étant le principal auteur et rédacteur d’une nouvelle loi sur la conscription. Connue sous le nom de « loi Jourdan » elle devrait plutôt s’appeler « loi DELBREL-JOURDAN». Cette loi va permettre à la jeune République et ensuite à l’Empereur de disposer d’un nombre très important de jeunes hommes pour mener à bien toutes les campagnes militaires de la Révolution et de l’Empire. Entre-temps, par son mariage avec Catherine Elisabeth Boulabert le 8 avril 1795 à Montpellier, Pierre Delbrel renforce son engagement dans le grand changement qui s’opère. Son beau-père, André Boulabert, fait partie de cette bourgeoisie d’entreprise qui, dès la fin de l’Ancien Régime, avait amorcé le tournant vers une certaine modernisation. En effet, son beau-père fait partie de la cohorte des ingénieurs ayant participé à la création du grand port de Cherbourg. Sa farouche opposition au Coup d’Etat des 18 et 19 brumaire (9 et 10 novembre 1799) lui valut, outre une certaine notoriété de républicain sincère, d’être arrêté et assigné à résidence dans le département de la Charente Inférieure ; c’est grâce à l’intervention de ses amis Murat, Bessières et Lannes qu’il obtint le droit de revenir au sein de sa famille. Retiré à Moissac, il refait parler de lui lors de la visite de Napoléon le soir du 29 juillet 1808. En tant qu’ancien parlementaire il ne put faire autrement que d’assister à l’entrevue prévue ce jour-là avec les autorités locales (voir dans Histoire de Moissac page 102). Napoléon le nomma Président du nouveau tribunal créé de toute pièce à Moissac. Après les Cent Jours, une Ordonnance royale d’octobre 1815 prononça sa destitution, victime d’une défaveur qui pesait sur les ex-Conventionnels qualifiés de régicide. Il se défendit d’avoir été considéré comme régicide car, comme son collègue Cambacérès il fit partie des 310 parlementaires qui prirent position pour « surseoir à l’exécution du Roi ». Condamné à l’exil, il se réfugia en Suisse où il demeura près de deux ans. La période de la Restauration fut pour lui l’une des plus néfastes et des plus douloureuses. En partie ruiné par deux ans d’exil, privé de tout traitement par sa destitution de Président du tribunal il crut, malgré tout, à la générosité des Bourbons ; pour soutenir sa famille il demanda, à plusieurs reprises, à retrouver son emploi au tribunal de Moissac. Pour vivre au quotidien il fut obligé de vendre une partie de son patrimoine étant donné que, contrairement à beaucoup d’autres, il n’a pas profité de la Révolution pour s’enrichir ayant résisté à toute tentative de corruption notamment sous la période du Directoire. Il a su rester foncièrement honnête, son but étant de fonder solidement la République. Il disparait le 2 mars 1846, deux ans avant l’avènement de la Seconde République. Son fils, André Delbrel, fut élu député de cette nouvelle république, siégeant à l’Assemblée constituante comme Représentant du Peuple, c’est-à-dire à la gauche de l’Assemblée comme son compatriote Hippolyte Detours.
René Pautal
La maison où se déroula la rencontre avec Napoléon