Lucien Loubradou

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LUCIEN LOUBRADOU (1893 Lauzerte – 1956 Moissac).

 

Né à Lauzerte le 7 janvier 1893, il fréquenta l’école primaire de cette charmante cité jusqu’au Certificat d’Etudes Primaires. Embauché pendant environ un an chez un épicier, il déclara à ses parents qu’il voulait continuer ses études.
Mobilisé en 1914, il avait le grade de lieutenant. Suite à une attaque à la baïonnette, son capitaine étant tué, c’est lui qui, à la tête de sa compagnie, sortit de la tranchée pour attaquer les lignes allemandes (c’était aussi l’ordre formel de l’Etat Major) malgré un tir de barrage intense. De cette sortie suicidaire il n’y eut qu’un seul soldat et lui-même qui revinrent à leur tranchée ; c’est ce qui lui valut la légion d’honneur. Un éclat d’obus le blessa à un œil qu’il perdit et qu’on remplaça par un œil de verre.
A sa sortie de l’Ecole Normale de Montauban, il fut nommé, avec sa femme Marguerite, à Cazes-Mondenard puis, à partir du 1er octobre 1929, directeur de l’école primaire de Saint-Benoît qui venait d’être créée (école Louis Gardes depuis 2004). Mais cette nomination ne convenait pas à M. Roger Delthil, le maire de l’époque. Entre Lucien Loubradou, socialiste et franc-maçon et Roger Delthil, radical-socialiste, ce n’était pas l’entente cordiale. Louis Gardes qui auparavant travaillait à la Préfecture, venait d’être nommé, au 1er janvier 1929, secrétaire de la mairie de Moissac. Il fut envisagé, un temps, de refermer cette école ; M. Loubradou réussit à surseoir à la fermeture pour une période de deux ans. Mais l’école eut, dès son ouverture, un nombre d’élèves bien supérieur aux prévisions.
Sur ces entrefaites arrive l’inondation de 1930. La ville de Moissac est sinistrée : 120 victimes. Les deux jeunes enfants de M. et Mme Loubradou périssent lors de ce sinistre. Comme le quartier de Saint-Benoît se trouvait en zone inondable Lucien Loubradou crut bien faire de confier ses deux plus jeunes enfants, un garçon et une fille, à ses beaux-parents qui habitaient le quartier dit de « la briqueterie » qui reçut de plein fouet les eaux tumultueuses du Tarn. C’est toute cette zone dévastée qui deviendra la « cité du Maroc ». Comble de malheur, son beau-père étant venu à Saint-Benoît, se trouva bloqué par les eaux sans savoir qu’à ce moment-là sa femme et ses petits enfants allaient périr noyés dans l’effondrement de l’ancien quartier de « la briqueterie ». Après l’inondation il devint « président » de l’association des victimes de l’inondation.
Après la seconde guerre mondiale Lucien Loubradou terminera sa carrière d’enseignant comme directeur de l’école primaire de garçons de la rue Poumel, aujourd’hui « Groupe scolaire Pierre Chabrié ».
Dès le début, le gouvernement du maréchal Pétain à Vichy révoqua, par une simple lettre, notre instituteur catalogué comme « socialiste et franc-maçon ». La lettre en question lui enjoignait de quitter son poste immédiatement, sur l’heure et sans attendre. C’est là qu’il dit : «  tant mieux, cela me laissera plus de temps pour m’occuper de l’organisation de la résistance à l’occupant ». Il fut donc un résistant de la première heure ; premier commandant de la 12ème compagnie de l’Armée Secrète (A.S.) donc. M. Bajon, avoué, lieutenant de réserve de l’aviation, lui succèdera.
A la Libération, par ses amis de l’Inspection Académique, il apprit que dans les motifs de sa révocation figurait en outre l’altercation qu’il avait eu avec l’inspecteur Brunetier au lendemain du 12 février 1934. Cette altercation découlait des propos racistes proférés par M. l’inspecteur vis-à-vis des enfants d’émigrés italiens que ce dernier traitait de « macaronis ».
Pierre Loubradou, fils aîné de Lucien Loubradou, naquit à Moissac le 11 décembre 1917. Juste avant la déclaration de guerre il avait passé avec succès le concours d’entrée dans les Grandes Ecoles : Normale Supérieure, Polytechnique. Le jour de son arrestation, la Gestapo venait en réalité chercher son père qui avait été dénoncé en même temps que les Campanini (père et fils). Lorsque la femme de ménage, Madame Yvonne Giner, ancienne élève de l’école de St Benoît, vit la voiture noire s’arrêter devant la maison, elle courut vite prévenir Pierre qui travaillait dans son bureau. Celui-ci lui dit que lui, personnellement, n’avait rien à craindre. Puis, tout aussi rapidement, elle est allée trouver le père Loubradou qui comprit tout de suite que son intérêt était de fuir immédiatement par les jardins à l’arrière de la maison.
Lucien Loubradou voulut se porter prisonnier mais ses camarades de l’A. S. l’en dissuadèrent en lui faisant remarquer que la Gestapo ne libèrerait pas pour autant son fils Pierre.
Claude Campanini raconta plus tard la fin tragique de Pierre Loubradou qui périt brûlé dans la sinistre grange de Gardelagen (récit restitué dans un ouvrage intitulé : « La tragédie de la Déportation »). Claude Campanini m’affirma qu’il n’eut jamais le courage de révéler à M. Loubradou l’atroce disparition de son fils Pierre.
René Pautal

 

On peut consulter l’ouvrage de Martine Sünez intitulé : « L’école de Saint-Benoît, de Saint-Benoît à Louis Gardes 1929-2009. Histoire et témoignages ».
La majeure partie de ces renseignements m’ont été communiqués par M. Claude Campanini, ancien facteur de la ville de Moissac, et par Mlle Christiane Giner, fille d’Yvonne Giner. Je les en remercie sincèrement. Dernièrement la tombe de cette famille cruellement éprouvée fut rénovée grâce à l’association « Le  Souvenir Français ».