La Mégère

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LA MEGERE // LA MEGERA.
Le quartier dit de « La Mégère », sur la commune de Moissac est, traditionnellement, rattaché à la paroisse de Sainte-Livrade laquelle, avant la Révolution, faisait déjà partie de la « communauté moissagaise » dont les limites, à l’Est, englobaient l’actuelle commune de Lizac (qui s’est détachée de Moissac au milieu de 19e siècle).
Dans un article de La Dépêche, paru le 12 novembre 2004, on se posait, indirectement, la question de savoir quelle était la signification de ce nom. Je me sentis dans l’obligation de donner une réponse à ce sujet d’autant plus que François Antic, ancien archiviste de la Société « Les Amis du Vieux Moissac », ancien Conservateur du Cloître et auteur de l’ouvrage Moissac et son Abbaye, paru en 1936, s’était déjà penché sur ce questionnement.
Ce dernier, dans un article que j’ai égaré, avançait l’hypothèse qu’une grosse métairie* implantée à cet endroit était à l’origine de ce nom. Il faut savoir qu’à partir du 15e siècle environ, le mode d’exploitation des terres agricoles dans nos régions occitanes était le « métayage ». C’est-à-dire que les paysans travaillaient la terre pour le compte d’un propriétaire lequel pouvait être soit un seigneur, soit un bourgeois. La location des terres se faisait en « nature », le propriétaire qui finançait la semence ou le cheptel récupérait la moitié de tout ce qu’il se récoltait : céréales, fruits, légumes, oies, poules, œufs, chevaux, bœufs, moutons, laine, etc…On disait que le propriétaire donnait sa terre « à gazailhe », c’est-à-dire que l’on passait un bail « à moitié fruit ». On disait aussi « à méger ». C’est ce dernier vocable qui nous donnera la solution. Voici :
Jean-François Motes (1674 – 1741), un bourgeois de Moissac qui habitait en plein centre ville, derrière le couvent des Récollets, nous a laissé dans son Livre de Raison de nombreux témoignages sur cette pratique agricole. Ce riche bourgeois possédait des terres, je devrais dire des métairies, à la fois sur les côteaux du quartier Saint-Laurent et dans la plaine alluviale, dans une zone que l’on appelait autrefois « Saint-Martin de delà Tarn » (actuellement : Saint-Benoît).
Donc, Jean-François Motes, homme de loi et riche propriétaire, pratiquait ce mode d’exploitation. Prenons deux exemples tirés de son Livre de Raison :
– le 31e décembre 1719 j’ay baillé à gazalhe à Etienne Fonsegrives, laboureur métayer de Bernard Lacombe…douze têtes de brebis au prix de 24 livres 8 sols lesquelles douze brebis seront mégères.
– le 13e novembre 1724, jour de la foire de Saint-Martin, M. Cazals, mon gendre, et moy, avons acheté en comun (sic) un cheval de l’âge de cinq ans six mois du Sr Irissou, notaire, au prix de 110 livres que nous avons payé mégèrement à raison de quoy j’ai remis les 55 livres de ma portion…
Ainsi donc, notre Jean-François Motes pour nous expliquer qu’il traitait « à moitié » utilise des termes issus du parler local, l’occitan, mais qu’il francise. Sachant qu’en occitan pour dire « à moitié » on dit « a meja » que l’on prononce « a métso » dans le Bas-Quercy moissagais. Dans le premier exemple, les brebis sont mégères donc payées à moitié. Dans le deuxième exemple, avec une logique imparable, il construit un adverbe de manière. C’est la même règle que chez nos voisins espagnols : on part du féminin de l’adjectif « megèra » et l’on y ajoute le suffixe « ment ». Ce qui donne « megèra-ment », qui se prononce « métsèroment ».
Prenons le nom actuel de La Mégère, en occitan il se prononce : « La Métsèro » mais, selon les règles établies on doit écrire : « La Megèra » (toutes les langues du monde ont leur propre système d’écriture).
Ceci étant, il n’est pas possible d’accepter l’idée qu’à un moment donné, une femme au caractère acariâtre ou revêche autrement dit, une mégère, ait pu transmettre ce nom au hameau de La Mégère.
La conclusion est qu’en des temps très éloignés, il devait exister à cet endroit-là une grosse exploitation selon le mode du métayage : une Mégère. D’autant plus que cette grosse métairie se trouvait sur un axe de circulation très fréquenté : c’était l’ancienne route royale (aujourd’hui D 927) qui reliait Moissac à Montauban. Servait-elle de point de repère ou bien, éventuellement, de halte pour les voyageurs de passage ? Aucune preuve tangible pour l’instant. Mais, sans nul doute, l’origine occitane de ce nom de lieu ne peut être contestée.

 

* dans nos contrées, en gros dans le Sud Ouest, le terme de métairie était en concurrence avec celui de « borde ». Le tenancier d’une borde était « le bordier ».

 

Pour en savoir plus :
CALVET (André), Noms de lieux et de personnes de Moissac, Edition Ostal redond, 2006.